Garder la foi était le meilleur moyen de garder la tête vissée sur les épaules. J’en ai vu à la pelle, des hommes qui flanchent et qui finissent cloîtrés entre quatre bouts de planche. L’ambition d’un gangster de rue se doit de surpasser ses limites, le projeter vers l’avant, faire perdurer son nom dans la rue comme une fête nationale. Le business était la méthode numéro une pour brasser un maximum de billets en très peu de temps. Notre « nouvelle came » du marché faisait fureur, elle se répandait comme une foutue maladie sexuellement transmissible que deux pédales de San Fierro se refilaient par le cul. Nous commencions à prendre de l’ampleur sur une bonne partie d’Idlewood, on gagnait un centimètre par-ci et par-là chaque jour, un peu plus chaque semaine, chaque mois. Notre fierté qu’était le bandana rouge nous faisait aller de l’avant. Une fierté qui se traduisait par un amour au sens propre, l’amour de notre culture. L’unification d’un tas de valeurs morales qui nous rendait meilleur qu’autrui. Mis à part mes poches de jean qui gerbaient de billets verts, mes journées, tout comme mes soirées, se résumaient à écraser mes phalanges contre les ossements crâniens de chacun de ces salopards qui osaient nous défier. Chacun avait sa manière d’inscrire son nom dans la cervelle des gens. Ma manière était la méthode forte, sans nul doute. Au fur et à mesure du temps qui défilait, cette rage de vaincre se traduisait par un plaisir personnel. Un plaisir qui allait pouvoir me conduire sur le sommet hiérarchique du gang. Les confrontations aux poings pouvaient pencher sur le mauvais côté, celui où les deux cogneurs se mettent à sortir leur pétard pour en découdre une dernière et ultime fois. Dieu soit loué pour m’avoir épargné la vie maintes fois. Je garde en mémoire chacun de ces macchabés, ces visages, ces paroles, ces coups de feu. Toujours cette même rengaine qui se répète mutuellement dans mon casque, ce même film qui se rembobine et qui s’active à chaque nouveau tir, à chaque nouveau meurtre. Vous avouer mes crimes d’autrefois pourrait directement me faire inculper pour des centaines d’années au trou. Quoique, avec la justice actuelle, l’injection létale serait la chose la plus réfléchie pour mettre fin au monstre que j’étais. Il est bien difficile de faire la part des faits lorsque l’on arrive à un certain point. Le plus difficile n’est pas de presser la gâchette une fois que l’on se trouve nez à nez avec notre assaillant. Le plus difficile est de ne pas flancher en se remémorant cette scène répétitive quand il pose les genoux au sol et qu’il baigne dans une mare de sang. Au final, peut-être qu’on y prend goût, peut-être qu’on prend la mauvaise habitude de recommencer. Dans ce combat qu’on mène au quotidien, la pitié ne doit pas exister. Une hésitation et direction le corbillard. Je n’ai jamais hésité, et je ne regretterai jamais d’avoir accompli le boulot. Malgré tout, certaines faces ne nous laissent pas indifférent.
First, l’un des nôtres, l’un des piliers du gang, l’un de la poignée de survivants de Ganton qui menait la cadence à nos côtés. Un soir de semaine, ce fameux « First » m’avait retrouvé à ma baraque. En temps normal, celui-ci m’aurait demandé une bière histoire de discuter entre bons vieux potes devant le match de basket qui avait lieu. Cette fois-ci était différent, étrange même. Je lisais dans son regard un cruel changement, une folle envie de vengeance qui sait ? De simples mots prononcés par sa bouche m’ont fait comprendre que la question de la survie était bien d’actualité pour le moment présent. Je me rappellerai toujours de cette phrase, émise comme un ultimatum : « J’ai choisis mon camp, et j’regrette pas. » - me disait-il avec l’arme dans la main. En une fraction de seconde, j’ai pris possession de mon fameux Glock pour mettre fin à son existence. Manque de chance pour moi, le premier coup est parti de son canon. Sa balle de neuf millimètres à percuté ma cuisse d’une force considérable qui m’a couché instinctivement au sol. A peine il eu le temps de remonter la ligne de mire sur mon crâne, les balles de mon arme fétiche se sont propulsées dans son buste pour enfin atteindre son crâne pour le percer à deux reprises. Une amitié à la limite de la fraternité avait prit la tournure d’un terrible scandale massacrant. Ce fut à cet instant présent que j’allais dégringoler.
La pente était glissante. J’avais commencé le grand plongeon vers le fond du gouffre. Ôter la vie de mon frère d’arme fut le coup de trop. Une accumulation de conneries embrouillait ma réflexion, je perdais les pédales, ma rage de vaincre se changeait en une haine perpétuelle pour flinguer le premier venu. Mon nom se propageait comme une anguille dans l’eau. Suffisamment vite pour atteindre les oreilles du Capitaine Armanetti. Un nom, un grade, qui pouvaient en refroidir plus d’un. Ma bêtise fut celle d’avoir continué à détruire des vies autour de moi à chaque instant où je posais un pied à l’extérieur de ma demeure. La mort de mes êtres chers était bien l’unique moyen pour me faire chavirer dans le mauvais camp. Vingt ans au compteur de l’époque, des dizaines d’années plus tard, je garde en souvenir chaque secondes de cette longue et abominable soirée de Février. Au moment-même où j’ai franchis le seuil de ma porte, bien qu’armé de mon pétard avait de nombreuses morts sur la conscience, je savais pertinemment que cette soirée serait la mienne. La mienne dans le mauvais sens. A peine après avoir pris ma seconde bouffée d’air dehors, un type d’une nation quelconque venait essayer de refourguer sa came de merde à deux pas de ma baraque. Sans réfléchir, en conservant mon mode opératoire, j’ai abattu mes poings sur sa face avant d’aller briser mes phalanges sur son crâne sans relâche. J’ai craché toute ma haine sur cet homme, sans même lui donner l’opportunité de se racheter. Il s’agissait là d’une destruction massive à la force de mes poings. Le problème dans tout cela était qu’un deuxième bonhomme n’aurait pas dû être présent sur les lieux du crime. Un gars perché sur sa bécane sur la 5th était en train de prévenir la flicaille pour me faire inculper d’homicide. Sans réfléchir, encore une fois, tellement omnibulé pour cette volonté de terrasser le premier venu qui oserait me briser les burnes à coup de masse, j’ai dégainé mon crachoir de pruneaux métalliques. J’ai pressé le pas jusqu’à ce type pour lui flanquer la crosse du Glock sur son casque. Chose faite, la balance a chaviré en arrière. Dans ce même lapse de temps, une quinzaine… non, une vingtaine de flics se sont rameutés sur la 5th. La 5th est une petite rue en parallèle de King Street et Insane Avenue, une banale rue qui fait office de transit entre les flux principaux. Chaque coin de cette infime rue était bloqué par les agents. Armanetti était dans la troupe, ou plutôt, à la tête de la meute. Son regard perçant et son attitude de salopard de première catégorie me donnait ordre de déposer les armes, de me rendre. Mon bras armé s’est levé en direction de ma proie à moto, sous les feux des projecteurs émis par l’attroupement de flics. Mon doigt s’est longuement enfoncé sur la gâchette pour faire de cette balance une passoire. Les flics ont reçu l’ordre de ne pas tirer, étrangement. Je venais de commettre l’irréparable. J’ai penché du mauvais côté de la balance à mon tour, trahi par mes idées néfastes qui empestaient ma cervelle.
Armanetti allait m’achever, faire de moi un fardeau, détruire toute possibilité de marche arrière. La fin était si proche que toute cette merde quotidienne n’en valait plus la peine.